dimanche 30 mai 2010

LA DANSE « TCHAM HA SI »

INTRODUCTION

L’homme est cet animal raisonnable qui sait surtout sentir le plaisir et se faire plaisir. Dans l’expressivité de son plaisir l’homme utilise le plus souvent son corps, notamment au moment de la danse. Qu’est-ce-que la danse ? « Dans son acception la plus générale, la danse est l'art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l'espace et le temps, accord rendu perceptible grâce au rythme et à la composition chorégraphique »[1]. Qu'elle soit spontanée ou organisée, la danse est souvent l'expression d'un sentiment ou d'une situation donnée, et peut éventuellement s'accompagner d'une mimique destinée à la rendre plus intelligible. Qu’en est-il du cas particulier d’une danse propre à une culture donnée comme le « Tcham ha si » ?
Le « Tcham ha si » est une danse joyeuse pratiquée par les populations de certains villages de l’ouest Cameroun. Littéralement, le nom « tcham ha si » veut dire « cogne vers le bas ». Non pas en signe de colère, mais de joie, de plaisir et de jubilation commune. Il est principalement fondé sur les pieds qu’on exécute en harmonie avec tout le reste du corps. Vue dans son originalité traditionnelle, la danse « tcham ha si » exprime une harmonie et une beauté de l’être ensemble qui résulte d’une longue préparation prenant en compte les personnes, les objets et surtout un enchainement qui porte à l’acclamation de tous. Notre recherche veut mettre en exergue quelques points saillants qui expriment progressivement la philosophie de communion qui fonde la danse « tcham ha si » et culminent à la jubilation de tous à un moment précis de la danse.
Nous observerons de ce fait un plan tripartite composé d’une approche propédeutique, suivie de la présentation des expressions de communion et enfin de sa complexité dynamique.

I. APPROCHE PROPEDEUTIQUE AU « TCHAM HA SI »

L’originalité de la danse « tcham ha si » relève à la fois de son exécution, mais surtout de toutes les étapes préparatoires qui entrent en ligne de compte. Le sérieux déployé dans cette préparation dépend de la notabilité de l’autorité traditionnelle devant qui la danse sera faite. Dans le cas présent, il nous semble idoine de présenter quatre moments propédeutiques au « tcham ha si » royal en tant que version la plus soignée.

I.1. La constitution des membres du groupe danse

La danse « Tcham ha si » fait partie des danses populaires joyeuses exécutées à l’occasion de grandes festivités. Il va sans dire que c’est toute la population du village qui est appelée à danser le « tcham ha si ». Mais pour les besoins d’ordre et d’expressivité précise et harmonieuse, on constitue un groupe de danseurs chargés de représenter le peuple devant le chef à qui l’on veut communiquer la joie de tous. Ceux qui font partie du groupe de danseur sont des personnes bien en santé physique et morale, capables de parler pour eux-mêmes et pour tous les autres, capables aussi de produire des gestes qui suscitent la joie, l’admiration et l’acclamation de tous, surtout celle du chef du village.
La philosophie qui règle l’acceptabilité de la constitution du groupe de danseurs, tant de la part des sélectionnés que de celle du reste du peuple est celle de la communion et de la représentativité voulue, entretenue et mutuellement partagée par tous. L’importance d’une telle philosophie est fondamentale car c’est elle qui détermine l’engagement de tous et la qualité de la danse finale. Fort de cette conception commune, personne ne se sent exclue ou plus valorisée ; tous ont le sentiment de se donner à fond : le groupe de danseurs compte sur la présence et le soutien effectif de la population qui en retour compte aussi sur le groupe qui danse selon la volonté de tous. Il y a alors une harmonie et une communion de dépendance entre les deux parties d’un même peuple qui se mobilise un peu différemment pour communiquer sa joie d’être un peuple unie élégamment à son chef.
Cet esprit de communion se voit aussi dans la répartition des tâches préparatoires à la danse : le groupe de danseurs se charge de la préparer les instruments et autres matériels en plus des séances de répétition ; le reste du peuple assure la propreté des tenues vestimentairee.
I.2. La sélection des instruments et autres matériels

Il peut arriver de nos jours que nous voyons des personnes danser le « tcham ha si » en utilisant des instruments électroniques plus ou moins sophistiqués. Ce qui n’est pas hors de propos si et seulement si le rythme original est posé et élégant. Mais à l’origine, la danse « tcham ha si » se contentait de quelques instruments pour livrer toute sa beauté. L’usage des castagnettes, des bracelets métalliques à billes, de la flute traditionnelle et exceptionnellement du tam-tam suffit. Il n’y a pas lieu d’utiliser le balafon ou tout autre instrument de musique dont l’usage normal produit beaucoup de bruit.
Le pourquoi de cette limitation dans la sélection des instruments à utiliser pour soutenir le rythme s’explique du fait que le principal instrument pour danser le « tcham ha si » est le corps humain. Kemleu Tché-tché abonde dans le même sens quand il affirme que « dans le tcham ha si, c’est la beauté de la personne humaine, sa dignité et sa capacité à communiquer les messages de paix et de tolérance qui sont valorisées »[2]. Il y a donc une dimension anthropologique et humaniste qui s’en dégage et que nous allons y revenir par la suite. Remarquons dès à présent la noblesse de cette danse. Une noblesse qui n’accepte la présence d’instruments extracorporels que pour soutenir le rythme. En d’autres termes, il ne peut à proprement parler pas y avoir de « tcham ha si » purement instrumental où l’on se contenterait de s’assoir et d’écouter les sons.

I.3. les séances de répétition

Quoique la danse « tcham ha si » soit si populaire et bien encrée dans les habitudes, il n’est pas superfétatoire que le groupe de danseurs sélectionnés consacrent un temps considérable à des séances de répétition. Il est question ici de s’assurer que tous sont bien en formes et qu’ils s’harmonisent bien tant dans leurs pas de danse, dans leurs mimiques que dans leurs déplacements d’ensemble qui doit représenter certaines formes bien précises.
La nécessité de la répétition s’explique aussi par le fait que les personnes qui constituent le groupe de danseurs ne sont pas toujours les mêmes d’une festivité à une autre. Autant que faire se peut, la chance est donnée à tous les membres du village qui peuvent représenter valablement le peuple en dansant aussi bien que souhaité par tous. L’esprit de solidarité qui caractérise la culture des peuples qui forment les bamilékés pousse naturellement les danseurs à alterner leur engagement dans la dynamique de la danse « tcham ha si ». Ainsi, il est tout à fait naturelle pour un danseur de passer alternativement du groupe représentatif de danseur à celui du peuple qui soutient le groupe de danseur.
I.4. La tenue vestimentaire et le jeu des couleurs
Le choix de l’uniforme traduit aussi à sa façon tout l’esprit d’harmonie et de communion qui fonde l’être ensemble chez les peuples danseurs du « tcham ha si ». En général, les couleurs rouge, blanche, noire et bleu sont réservées à des situations spécifiques de la vie humaine. Il ne sied pas de les choisir pour en faire la tenue vestimentaire et représentative des danseurs. C’est plutôt un tissu bigarré et reproduisant une harmonie de formes, de figures, ou tout autres objets de la nature pacifique qui est mieux indiqué pour vêtir les danseurs.
Le symbolisme du choix de la couleur est hautement significatif. Personne ne souhaite être orphelin comme l’indique le noir, ni veuf pour le bleu, encore moins violent et dangereux pour le rouge, et en aucun cas être mort pour le blanc. C’est plutôt la communion vécue entre les personnes et la nature et représentée dans les dessins du tissu qui est préférée pour dire ce que pense le peuple au moment d’exprimer sa joie d’être uni à son chef. La tenue vestimentaire exprime donc la vie, tout comme le jeu des couleurs ou des formes qu’elle représente. Une vie qui se donne davantage à voir au moment de la danse officielle.

II. LE « TCHAM HA SI » ET SES EXPRESSIONS DE COMMUNION

Toute la préparation au « tcham ha si » culmine vers une extériorisation solennelle le jour de la danse officielle devant le chef du village de qui on attend une réaction joyeuse en retour. Il est question d’une manifestation très noble où nous distinguons l’entrée en scène, la plasticité corporelle, l’originalité des expressions et l’acclamation commune.
II.1 Entrée en scène et harmonie du rythme
Il y a une logique interne à observer pendant l’exécution du « tcham ha si ». Selon les artistes[3], nous constatons que les uns privilégient la parole, d’autres le son instrumental, mais jamais le silence, encore moins la spontanéité désordonnée. Si le musicien Talla André Marie use au début de son « tcham ha si » de la parole impérative, de l’exclamation suivie d’une suite de notes instrumentales doublées, Tché-tché Bernard quant à lui préfère commencer son « Meuteu-cogni » par un son poétique et lyrique accompagné de gestes évocateurs qui ne désignent pas directement une réalité objective et palpable. Observons par exemple :
Talla commence par :
« Ben skin … aha,
Tcham !
Neugneu dada ! Neugneu dada !
Ben nam ! »
le tout suivit du double son instrumental « Tantan »
répété six fois puis fini par « tantantant »

Tché commence par :
Un son doux instrumental suivi de plusieurs gestes de la main à l’attention des autres danseurs complété par la chanson suivante :
« Wéé ha,
wéhé hahaha, wo’ o ho !
Ha ha ha !
wohoho i yo ho !
hoy yo ! »
La première parole directement significative utilisée ici est une invitation à être ensemble et à célébrer l’entente appelée le « cougnieu ».
L’originalité qui se dégage dans la différence d’approche du « tcham ha si » chez ces deux musiciens c’est la douceur du rythme que produisent les instruments de musique utilisés. Il y dégage une harmonie réelle entre les sons, les danseurs et les spectateurs dès le début même de la danse, ce qui est source de plaisir et de communion qui va aller en s’amplifiant à mesure que le « tcham ha si » se déploie.
D’après la classification des Tierou qui regroupe les différentes danses africaines en quatre catégories[4], le « tcham ha si » ne serait pas une danse acrobatique, ni une danse rapide, mais il serait une synthèse des danses lentes et des danses basés sur le mouvement d’ensemble.
II.2 Plasticité corporelle et symbolisme des formes

La danse « tcham ha si » exige une souplesse et une plasticité corporelle capable de reproduire des formes géographiques et des postures physiques peu habituelles. En même temps, vous devez vous recourber très profondément et exécuter des mouvements en sens parfois inverses de celui du tronc tout en restant dans la figure tracée par tous les danseurs. Du fait que le « tcham ha si » n’est pas une danse solitaire, il ne sied pas que chacun des présents, envoûté par le rythme danse pour soi et s’exprime comme il peut dans sa petite espace. Il est question d’un être avec l’autre où se vit l’être pour soi dans l’être avec les autres.
Il faut noter la noblesse des mouvements d’épaule, des mains et quelquefois de tout un côté latéral. Leur présentation au chef se fait en biais tout simplement par respect et par souci de lui inspirer l’esprit joyeux qui motive à la danse. La danse « tcham ha si » permet aussi des mouvements de pied qui, à bien les observer, dessinent de petites paraboles ouvertes et latérales qui sont comme des reproductions en miniature de la grande figure parabolique renversée que représente l’ensemble des personnes présentes.
En effet, le « tcham ha si », vue du point de vue de la schématique mathématique, ne saurait représenter une tangente de l’ordre de l’équation f(x)=x2. Cette danse reproduit plutôt une parabole convergente qui a pour abscisse les assises du chef et sa suite. La révolution de la courbe parabolique étant à la fois incarnée en externe par la foule et en interne par le groupe de danseurs. Cette grande figure symbolisant une parabole convergente incarne à sa façons déjà l’esprit de communion qui caractérise les peuple qui dansent le « tcham ha si ».
II.3 Socialité et convivialité des expressions

Outre la simplicité des expressions des paroles du « tcham ha si » quand le meneur de la danse les prononce pour célébrer la vie et tout ce quelle contient, il y a aussi des affirmations et des désignations hautement symboliques qui rendent compte des sensations esthétiques dont la compréhension exige une démarche métaphysique. C'est-à-dire ce n’est pas seulement ce que nous voyons qui est porteur de joie, mais c’est aussi tout l’arrière fond culturel fondé sur la communion de vie et la communicabilité des sensations qui se déploie.
Le musicien Talla chante la complémentarité dans les occupations quotidiennes entre les femmes et les hommes. Il rapproche les deux groupes pour dire le bonheur de vivre ensemble.
« Quand nous allons au champ chercher le bois,
Les femmes y allaient aussi mais pour ramener de la nourriture ;
Quand nous allions au marché vendre les chèvres,
Les femmes y allaient aussi vendre les tubercules, etc. ».

Quant au musicien Tché-tché le « tcham ha si » est pour lui le moyen pour inviter à une vie s’entente à tous les échelons de la vie humaine.
« Chantez avec moi, chanter pour l’entente et soyez les bienvenue,
dansez avec moi et mangez de la viande, c’est ma parole,
soyez confortablement assis et buvez du vin, je vous aime !
Mourir pour la cause de l’entente c’est dormir pour moi ! etc. ».

C’est à force de répéter de telles paroles douces et conviviales que l’ambiance générale se détend progressivement et finalement tous ne font plus qu’un dans les mouvements et l’expression de joie qui se dégage des visages. Quand le chef se joint à cette joie, on peut alors parler véritablement d’une acclamation cummune.
II.4 « Communication par sympathie immédiat »

Le danseur du « tcham ha si » s’intériorise, il est concentré durant toute la partie et attentionné aux autres, surtout à la plus grande personnalité présente, en l’occurrence le chef du village. Le danseur se meut sur la piste en faisant appel à tout ce que la danse comporte de caressant, d’aimable, d’onduleux, de beau, de gracieux, d’harmonieux et de spirituel, à la fois. Comme le pense Tierou au sujet de la danse vitale africaine, « on a l’impression qu’une force intérieure jaillissant du centre du cœur de l’acteur, s’empare de des membres, de son torse et de sa tête »[5]. A ce moment le danseur peut même fermer les yeux pour ne laisser parler que ses membres et ainsi entrainer les autres observateurs à l’acclamer et à danser à leur tour dans le même rythme.
A un certain moment de la danse, le plus souvent après que tous les couplets convenus aient été déjà chantés et que le refrain principal seul est exécuté continuellement, nous constatons une liesse populaire où danseurs désignés, membres de la réunion et toute la population présente vibrent au même rythme. C’est « une communication par sympathie immédiate » pour penser comme Alphonse Tiérou[6]. C’est là l’expression manifeste de la communion et de la joie ; C’est en fait la finalité recherchée par cette danse, celle de communiquer la joie et d’inviter les uns et les autres à être à leur tour des promoteurs de joie. La réponse du chef, qui manifeste aux yeux de tous sa communion avec tous, se fait soit par des battements de mains, soir par le balancement large de la queue du cheval soit par l’esquisse de quelques pas de danse, ce dernier geste étant l’expression de la plus grande satisfaction.
III. LA DANSE « TCHAM HA SI » : UNE DYNAMIQUE COMPLEXE
La portée philosophique de la danse « tcham ha si » est multiple tant du côté positif que de celui encore à recentrer. Outre son apport social, il y a lieu de noter en elle sa dimension synthétique qui intègre les valeurs pluridisciplinaires comme nous allons le présenter succinctement ci après.
III.1. Le « Tcham ha si » : une dynamique pluridisciplinaire

Il n’est pas facile de cerner toute la complexité des richesses que recèle la danse « tcham ha si ». A partir de toute notre démarche précédente nous pouvons isoler quelques points selon certaines disciplines :
-Du point de vue de la socio-anthropologie et de l’esthétique, nous notons que la danse « tcham ha si » est une école de socialité qui justifie à sa façon l’animalité sociale de l’homme comme le pense Aristote. De plus, cette socialité n’admet aucune place à l’individualisme. C’est quand on danse avec les autres qu’on se réalise. De ce fait, l’appréciation esthétique de la laideur n’est ni dans le débordement de la matière par rapport à la forme comme le pense Plotin, ni dans le flou de « ces choses pénibles, épouvantables et dégoutantes »[7] de la vie humaine comme c’est le cas chez Nietzsche, encore moins dans une quelconque malformation congénitale ou accidentelle. La laideur esthétique dépourvue de toute beauté c’est l’incapacité à un homme à danser avec les autres pour célébrer la communion de vie et de partage de tous les jours. Une laideur qui se mesure physiquement dans l’espace et le temps parce que vous ne faite pas corps avec les autres. Dans ce sens le cogito de Descartes « je pense, donc je suis » ne devrait pas s’inculturer et s’arrêter seulement à « je danse, donc je suis » du professeur Kouam reprenant ainsi Senghor, mais épouser les valeurs du « tcham ha si » pour devenir « je danse avec, donc je suis » ou mieux « nous dansons, donc nous sommes ».
-Du point de vue pédagogique, la danse « tcham ha si » peut utilement devenir une matière d’illustration et d’édification des valeurs de la danse. Dans une structure scolaire qui a la danse au progrmme, ce que souhaite fortement Nietzsche quand il affirme que : « Le danse sous toutes ses formes ne peut être exclue de toute noble éducation : danser avec les pieds, avec les mots, et dois-je aussi ajouter que l’on doit danser avec la plume ? »[8]. Outre les bienfaits personnels, cette danse favorise l’acquisition des manières nobles, le respect du partenaire de danse, la concentration de l’esprit dans ce que l’on fait et l’idée de représentativité. Dans ce sens le « tcham ha si » a bien sa place au carrefour des cultures où son expressivité est comparable à celle de l’Inde, de l’Europe ou des États-Unis. Dans le film américain « Danse avec moi » ou « Take the lead », l’esprit d’équipe, de respect du partenaire et surtout de communion est recherché et exalté comme dans le « tcham ha si » ; c’est la même chose dans le film indou « Colly » où tout un village se retrouve devant son chef pour danser noblement et célébrer leur joie d’être uni à leur chef.
-Du point de vue éthique la danse « tcham ha si » est un lieu où les valeurs humanistes de la morale sont hautement respectées. Cette danse va bien au-delà de la responsabilité du Moi à Autrui si chère à Lévinas pour intégrer l’altérité symétrique de Ricoeur. En effet, l’approche asymétrique de la relation éthique lévinassienne[9] ne sied pas avec l’esprit du « tcham ha si » où la communion de tous est exigée. C’est plutôt dans la critique de Ricoeur à Lévinas où le Moi est reconnu et gratifié par Autrui que se retrouve le « tcham ha si ». Le « tcham ha si » est le lieu de vie de la règle d’or qui demande de faire à l’autre ce que nous attendrions en retour de lui. Ainsi le « tu » renvoie au « je » et inversement[10]. Ainsi, le « tcham ha si », bien plus que l’éthique de Lévinas, peut être une philosophie première où le leitmotiv n’est plus le « ne me tue pas » lévinacien, mais tout simplement le « dansons le tcham ha si ».
III.2. Le « Tcham ha si » : une dynamique à recentrer
La danse en général et le « tcham ha si » en particulier contient une dynamique difficilement maîtrisable. Si le « tcham ha si » présente une cohérence et une harminie dans son exécution comme nous l’avons présenté jusqu’ici, il n’est pas toujours ainsi, une fois sorti de son cadre strictement traditionnel. La mondialisation aidant, le « tcham ha si » s’exporte en perdant quelque peu de sa valeur. Et sa principale valeur, celle de la communion et de la convivialité est délaissée. La vulgarisation de cette danse révèle le « dionysiaque » que dénonce Nietzsche au lieu d’exalter l’apollinien traditionnel[11]. C’est le même son de cloche que nous retrouvons longtemps après chez Mono Ndjana qui s’indigne en ces termes : « Tous entendent les mélodies à la radio, et regardent les mêmes images à la télévision (…) Grâce aux médias, un immoralisme tentaculaire s’installe dans la mentalité de tout un peuple »[12].
Le « tcham ha si » appelé par ailleurs « ben skin » s’est vu déporté des pistes de la danse pour se retrouver chez les moto-taxis qui se plaisent à porter le nom de « ben-skiner » ! Et que dire des tenus vestimentaires impudiques, des rythmes rapides et frénétiques et des gestes violents qu’on rencontre souvent chez certains qui croient danser le « tcham ha si » original ? A dire vrai, la dynamique du « tcham ha si » devrais être recentrée. C’est une danse noble qui dit la noblesse humaine et ne saurait servir à la déperdition de l’homme. Comme danse, nous ne dirons pas que le « tcham ha si » doit être le paradigme de la foi chrétienne comme c’est le cas chez Nietzsche qui « ne pourrait croire qu’en un Dieu qui saurait danser »[13]. Mais nous pensons qu’il peut être d’un apport louable pour pacifier les rapports entre homme.

CONCLUSION

Au terme de notre démarche, force est de constater qu’il y a une réelle portée philosophique spécialement esthétique dans la danse « tcham ha si ». Outre le fait que c’est une école de vie et de convivialité, cette danse recèle les valeurs humanistes qu’il faut prendre le temps pour approfondir. Cependant sa dynamique interne peut devenir une arme fatale pour elle-même, d’où l’importance d’une recentralisation dans un cours de danse par exemple.
La philosophie n’étant pas une touche à tout, mais réflexion sur tout comme le pense O. Reboul[14], notre travail ne saurait épuiser la portée pluridisciplinaire de la danse « tcham ha si ». Il est une approche philosophique et spécialement esthétique de cette danse au rythme doux et noble qui à elle seule intègre de grandes valeurs telles que la sociabilité, l’altérité, la représentativité, la communion, la convivialité. Et dans la perspective du professeur Kouam de faire de l’esthétique II une réflexion sur la danse, Il semble que la philosophie hautement humaniste développée dans la danse « tcham ha si » peut faire école. Ce faisant notre cours d’esthétique contribuera à l’élargissement du champ de réflexion philosophique et sera une réponse positive à Duchesne qui se pose cette question : « La danse reste-t-elle le parent pauvre de la recherche ? »[15]. Pourtant la danse est en somme une expressivité ultime de l’homme, un facteur original et irremplaçable de révélation de l’homme.

BIBLIOGRAPHIE

CHRISTOUT M. F. ET S. JOUHET, « Danse », dans Encyclopaedia Universalis 2010.
DUCHESNE V., « Préface », dans FAMEDJI-KOTO TCHIMOU, Langage de la danse chez les Dogons, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 9.
FAMEDJI-KOTO TCHIMOU, Langage de la danse chez les Dogons, Paris, L’Harmattan,
1995, 172 p.
LEVINAS E., Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, Londres, La Haye, 1980, 284 p.

NDJANA H. M., Les chansons de Sodome et Gomorrhe, Yaoundé, Carrefour, 1999, 126 p.
NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra, trad. M ; de Gandillac, Paris, 1985, p.
NIETZSCHE F., Humain trop humain, trad. H. Hildenbrand, Paris, Gallimard, 1991, 243 p.
NIETZSCHE F., La naissance de la tragédie, trad. H. Hildenbrand et L. Valette, Paris, Gallimard, 1991, p. 47.

NIETZSCHE F., Le crépuscule des idoles, trad. M. de Gandillac, Paris, Gallimard,
REBOUL O., La philosophie de l’éducation, Paris, P.U.F., 1999, 127 p.
RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, 425 p.
TIEROU A., La danse africaine c’est la vie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, 142 p.

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION.. 2
I. APPROCHE PROPEDEUTIQUE AU « TCHAM HA SI ». 2
I.1. La constitution des membres du groupe danse. 3
I.2. La sélection des instruments et autres matériels. 3
I.3. les séances de répétition. 4
I.4. La tenue vestimentaire et le jeu des couleurs. 5
II. LE « TCHAM HA SI » ET SES EXPRESSIONS DE COMMUNION.. 5
II.1 Entrée en scène et harmonie du rythme. 5
II.2 Plasticité corporelle et symbolisme des formes. 7
II.3 Socialité et convivialité des expressions. 7
II.4 « Communication par sympathie immédiat ». 8
III. LA DANSE « TCHAM HA SI » : UNE DYNAMIQUE COMPLEXE. 9
III.1. Le « Tcham ha si » : une dynamique pluri disciplinaire. 9
III.2. Le « Tcham ha si » : une dynamique à recentrer 10
CONCLUSION.. 11
BIBLIOGRAPHIE. 12
TABLE DES MATIERES. 13


[1] M. F. CHRISTOUT ET S. JOUHET, « Danse », dans Encyclopaedia Universalis 2010.
[2] B. KEMLEU TCHE-TCHE « Le meuteu », dans CRTV, Artistique, du Mercredi 12/05/2010 à 10h00 et suivant.
[3] Pour notre travail, nous avons prêté attention à deux artistes majeurs dans l’expressivité et la diffusion nationale et internationale de la danse « tcham ha si », à savoir Tala André Marie et Kemleu Tché-tché Bernard.
[4] Cf. A. TIEROU, La danse africaine c’est la vie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, pp. 116-119.
[5] A. TIEROU, La danse africaine c’est la vie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, p. 116.
[6], Idem, p. 7.
[7] F. NIETZSCHE, Humain trop humain, trad. H. Hildenbrand, Paris, Gallimard, 1991 p. 47.
[8] F. NIETZSCHE, Le crépuscule des idoles.
[9] Cf. E. LEVINAS, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, Londres, La Haye, 1980, p. 207.
[10] Cf. P. RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 225.
[11] Cf. F. NIETZSCHE, La naissance de la tragédie, trad. H. Hildenbrand et L. Valette, Paris, Gallimard, 1991, p. 47.
[12] H. M. Ndjana, Les chansons de Sodome et Gomorrhe, éd. Du Carrefour, Yaoundé, 1999, p. 25.
[13] F. NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. M ; de Gandillac, Paris, 1985, p. 108.
[14] O. REBOUL, La philosophie de l’éducation, Paris, P.U.F., 1999, p.5.
[15] V. DUCHESNE, « Préface », dans FAMEDJI-KOTO TCHIMOU, Langage de la danse chez les Dogons, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 9.
Par Albert FANDJO

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